Entre écologie, hi-tech et culture, Kigali renaît de ses cendres 30 ans après le génocide

Quand on survole le Rwanda pour la première fois, depuis le bleu du ciel, on est frappé par la verdure de collines et des forêts qui parsèment le pays surnommé à juste titre “la petite Suisse”. Kigali, perchée à 1500 mètres d’altitude, signifie dans le dialecte local, “quelque chose de grand et qui s’étend”. La capitale rwandaise, constituée de plusieurs mondes, forme un patchwork à l’horizon, avec, d’un côté, les nouveaux quartiers aux immeubles ultramodernes et aux célèbres enseignes internationales, signes d’un dynamisme économique propulsé par le gouvernement actuel, avec notamment le Centre de Congrès, le Centre financier international de Kigali et la future Cité de l’Innovation, et d’un autre côté, les quartiers pauvres et traditionnels mais tout autant réglés au cordeau.

Car le président Paul Kagame, qui depuis 2000 gère d’une main de fer ce petit pays enclavé d’Afrique de l’Est et ses douze millions d’habitants, a pour obsession la propreté, la sécurité et la modernité. Kigali, que l’on pourrait aussi nommer la “petite Singapour” ou encore la “Silicon Valley” version africaine, se veut être un modèle de développement urbain et écologique prioritaire. Détrônant ainsi Nairobi comme étant la ville la plus “green” du continent, la capitale rwandaise, qui aligne son action climatique sur l’accord de Paris depuis 2020, met en avant la mobilité douce avec des vélos en libre-service et des journées sans voiture pour devenir une ville 100 % durable.

Avec sa politique volontariste en matière de salubrité et d’environnement, le gouvernement rwandais a eu une bonne idée pour faire de Kigali un nouvel eldorado vert : impliquer au maximum ses habitants dans la préservation de l’environnement. Pour se faire, une journée nationale de nettoyage obligatoire, inscrite dans la Constitution depuis 2007 et appelée “Umuganda” a été créée et a lieu chaque dernier samedi du mois. Alors, durant une matinée, tous les habitants de 18 à 65 ans se réunissent pour ramasser les déchets, planter des arbres ou concrétiser des projets d’utilité publique. Mais cette propreté a un prix. Des amendes de 10 à 100 euros, voire même des travaux d’intérêts généraux, sont infligées par les brigades de surveillance pour tout déchet jeté au sol. 

Car à l’heure des trentièmes commémorations du génocide des Tutsis par les Hutus qui a fait plus de 800 000 morts dont 300 000 dans la capitale en 100 jours en 1994, de nombreuses questions se posent encore : comment créer trente ans après ce drame national ? La culture peut-elle guérir une société traumatisée et provoquer un rituel de deuil, un travail de mémoire, de transmission et de résilience ? La création contemporaine peut-elle donner des éléments de réponse à la nouvelle génération qui a hérité d’un très lourd fardeau sur lequel les aînés ont majoritairement préféré rester silencieux ?

Ce pays très jeune, dont la majorité de sa population est née après 1994, alterne entre des non-dits très forts et une exposition très brute du génocide. Sans éléments empiriques à sa disposition, la nouvelle génération rwandaise, âgée de 20 à 25 ans et ultra-connectée, a une autre manière d’appréhender le monde et cet évènement majeur de son histoire à travers l’art et ses multiples formes artistiques.

La toute récente et première édition de la Triennale d’art de Kigali qui s’est tenue durant dix jours du 16 au 25 février derniers, organisée par le centre d’art Rwanda Arts Initiative (RAI), la Mairie de la capitale et le ministère des Arts et de la Jeunesse, a pour vocation de donner le pouls du continent tous les trois ans. Avec un programme transdisciplinaire qui a mis à l’honneur tout à la fois la littérature, le théâtre, la danse, la musique, le cinéma, la mode, les arts numériques, les arts visuels, la gastronomie  / food market et le design, ce sont plus de deux cents artistes de vingt-cinq pays africains et internationaux qui ont présenté plus de soixante manifestations sous différentes tentes mais aussi en plein air non loin du mémorial belge situé en centre ville.

Ce grand rendez-vous panafricain est une première en son genre dans cette ex-colonie belge et se veut porteur d’un message de vérité, de résilience, de démocratie et de dynamisme recherché par le pouvoir rwandais qui n’a pas misé sur la culture comme facteur de développement économique par hasard et qui souhaite justement faire de Kigali la vitrine du pays et de “l’excellence africaine”. 

Ce melting-pot en tout genre s’est déployé en curations de binômes associant un artiste international de renom à un artiste rwandais, en ateliers de formation et en master class, en conférences, forums et autres moments de réflexion, en déplacements professionnels en province jusqu’à la “Paradise Island » située près du lac Kivu. Ce rendez-vous culturel majeur a aussi donné l’occasion aux autorités de poser dans un vaste espace vert de la ville la première pierre d’un futur complexe culturel qui sera conçu, construit et géré sous la houlette du RAI et de la Mairie de Kigali pour promouvoir la professionnalisation des industries créatives du Rwanda et créer des partenariats artistiques stratégiques entre différents pays et différentes cultures. 

“En invitant plus de soixante cinq programmateurs de lieux culturels en provenance de pays étrangers, nous voulions connecter la jeune génération d’artistes qui anime la vie culturelle rwandaise d’aujourd’hui avec le reste de la profession. Car le premier des objectifs de la Triennale de Kigali consiste à mettre en valeur la vitalité de la scène culturelle rwandaise animée par plusieurs générations d’artistes inspirés dans tous les domaines, à asseoir Kigali en tant que capitale culturelle et à soutenir son insertion sur le marché global des arts”, nous explique Dorcy Rugamba, le directeur artistique de la Triennale, également auteur, acteur, metteur en scène, fondateur et directeur de Rwanda Arts Initiative (RAI).

Entre devoir de mémoire et nécessité d’aller de l’avant, entre formes traditionnelles et expressions contemporaines, l’éveil du Rwanda se fera par les voix de ses talents créateurs qui montreront le chemin d’une réconciliation possible. “Notre mission est d’apporter la culture au public et non l’inverse”, rajoute Dorcy Rugamba. Gageons que ce nouveau rendez-vous, au-delà de son aspect évènementiel, permettra à Kigali – carrefour polyglotte (la population locale pratique le Kinyarwanda, le Français et l’Anglais) et troisième ville la plus visitée d’Afrique notamment pour ses conférences – de rayonner en tant que nouvelle capitale culturelle s’inscrivant dans un temps long comme futur rendez-vous régulier.

Mais la scène artistique rwandaise ne se limite pas à cette unique grande messe et n’a pas qu’un seul visage. Si vous venez visiter Kigali le reste de l’année, même le temps d’une journée, voici plusieurs centres culturels où découvrir les travaux d’artistes locaux qui évoluent, réfléchissent, créent et travaillent conjointement dans leurs différents formats. Citons le centre artistique IVUKA, le Centre des Arts Inema, le Centre artistique Niyo, la Kigali Deaf Art Gallery, le Centre des Arts de Kigali, l’Espace artistique Indiba, le Musée d’art du Rwanda ou encore simplement les rues de Kigali et ses multiples graffitis.

Dans la capitale des “mille collines”, la nature, la technologie, l’art et la vie quotidienne se mélangent facilement. Le pays tout entier ressemble à une vaste toile très ordonnée et sa capitale a l’air d’être recouverte d’un vernis luisant, mais qui pourrait se craqueler avec le temps, disent certains…

Texte de Christine Cibert.

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