Depuis que la guerre a démarré entre la Palestine et Israël le 7 octobre 2023, la situation humanitaire catastrophique qui se déroule sous les yeux du monde est sans précédent. Entre les morts (plus de 30 000 personnes dont la moitié sont des enfants), les blessés, les otages, les déplacés, la crainte d’une nouvelle Nakba et le sort des civils qui manquent de tout, le bilan est très lourd. C’est tout un équilibre régional qui est à nouveau bouleversé, où les peuples israéliens et palestiniens sont prisonniers de leurs dirigeants extrémistes. On assiste aussi à un clivage mondial des débats, à une recrudescence des actes à caractère antisémite à travers le monde, à une fracture entre le monde occidental et le Sud Global. Alors, comment éviter l’escalade inexorable malgré les condamnations internationales ? Qui peut arrêter le massacre en cours au Proche-Orient ? L’onde de choc de la guerre entre Israël et le Hamas s’est propagée partout dans le monde. Les manifestations pros palestiniennes et pros israéliennes se multiplient ici et là, notamment dans les universités. De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer un cessez-le-feu, une trêve ou à minima, une pause humanitaire.
Tandis que depuis plusieurs mois, de nombreux artistes palestiniens ont malheureusement été censurés et que des expositions artistiques ont dû être annulées, certaines institutions ont malgré tout choisi de maintenir leur programmation, voulant mettre en lumière les expressions multiples des artistes palestiniens qui clament la solidarité d’un peuple, revendiquent l’attachement à leur identité, à leurs racines et à leur terre, prônent la vitalité et la richesse de leur culture, au moment même où leur existence semble plus que jamais être menacée. Car les artistes continuent à garder l’espoir de voir un jour les deux peuples, palestiniens et israéliens, vivre côte à côte et dans la paix.
Alors, de Paris à Tunis, de Londres à l’Italie, de New York à Ramallah, d’Amman à Gaza et de Birzeit au World Press Photo, partons à leur découverte d’une sélection d’artistes, d’institutions et d’événements culturels organisés récemment ou toujours en cours. Ils ont retenu notre attention parce qu’ils expriment la résistance, le désarroi et la colère face à l’extrême fragilité des vies humaines acculées au conflit récurrent du Proche-Orient qui perdure depuis plus de six mois et bien plus.
Ce que la Palestine apporte au monde, à l’IMA à Paris
Pendant plus de la moitié de 2023, l’Institut du monde arabe (IMA) a choisi d’accorder une place particulière aux jeunes créateurs de Gaza en donnant à voir au public parisien l’effervescence culturelle que la Palestine ne cesse de révéler et d’entretenir. L’exposition Ce que la Palestine apporte au monde nous a conviés à un parcours subtil et intense, depuis le 31 mai 2023 et prolongée du 19 novembre au 31 décembre 2023, en raison d’un fort succès rencontré, tant médiatique que populaire. “Vous aimez ? On prolonge”, a alors décrété dans un Tweet Jack Lang, l’actuel directeur de l’IMA. “Car 50 % des visiteurs ont été des jeunes de moins de 26 ans qui ont souhaité comprendre, s’informer, découvrir et s’émerveiller de la créativité palestinienne. Si l’IMA est la seule institution culturelle au monde a avoir consacré un événement temporaire d’une telle ampleur à la Palestine, cette exposition-événement a mis en lumière les contributions exceptionnelles de la Palestine à la culture mondiale et a rendu hommage à la richesse et à la diversité de son patrimoine, de son histoire et de son héritage», explique aussi l’ancien ministre français de l’éducation et de la culture.
Présentée dans plusieurs salles et sur plusieurs étages, l’exposition a été déployée sur trois thématiques à travers une approche muséale plurielle : tout d’abord, Les Palestiniens et Palestiniennes en leurs musées, ensuite Images de Palestine : une Terre sainte ? Une terre habitée ! et enfin, Les valises de Jean Genet. L’irréductible vitalité de la création palestinienne moderne et contemporaine, élaborée à la fois dans les territoires occupés comme dans l’exil, dialoguant avec leurs homologues du monde arabe et de la scène internationale, ne laisse aucun visiteur indifférent. Face à tous ces femmes et hommes qui ont choisi l’art comme mode d’expression, comme arme de résistance, comme outil de révolte et comme acte politique, on ne peut que s’émerveiller.
Depuis 2016, l’IMA abrite aussi en ses murs la collection du futur Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine, une “collection solidaire” de quelque 400 œuvres allant de l’informel à l’hyperréalisme, constituée de dons de presque une cinquantaine d’artistes internationaux et réunies à l’initiative d’Elias Sanbar (écrivain et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco) et coordonnée par l’artiste français Ernest Pignon Ernest. Ils opèrent tous une série de questionnements : que veut dire être humain, dans son corps et son identité ? Que signifie vivre, pour soi, avec ou parmi les autres ?
Notons aussi la présentation du collectif HAWAF imagine SAHAB, le musée des nuages de Gaza. Ce musée des possibles est accessible aux publics de Palestine et du monde sur le « cloud » et à l’air libre. Il est basé sur la technologie de la réalité virtuelle et la création d’œuvres d’art digitales autour du patrimoine palestinien. Il stimule l’imagination et offre une autre vision d’avenir. Il a pour ambition de rebâtir la communauté artistique de Gaza liée à un territoire sous embargo et sans musée d’art contemporain.
Rappelons aussi que l’Institut du monde arabe (IMA) a été fondé en 1987 par la France et les États de la Ligue arabe pour faire rayonner la culture arabe sous toutes ses formes. Installé dans un bâtiment conçu par Jean Nouvel et reconnu dans le monde entier comme un symbole de l’architecture contemporaine, l’IMA est un véritable lieu de rencontre et d’échange. Situé en plein cœur du Paris historique, il contribue depuis trente ans au renforcement des liens culturels, politiques, économiques et sociaux entre la France et le monde arabe. Car au-delà d’une programmation artistique ambitieuse, l’IMA a renforcé son rôle de Think tank sur le monde arabe contemporain et de lieu de rencontre à destination de tous les acteurs des sociétés françaises et arabes, et notamment des acteurs économiques. Aujourd’hui plus que jamais, jouant parfaitement son rôle de pont culturel entre la France et le monde arabe, à l’heure d’une actualité très tendue, la mission de l’IMA en faveur d’une meilleure compréhension du monde arabe et d’un renforcement du dialogue franco-arabe est indispensable.
L’Arbre et le Déluge, au B7L9 à Tunis
Depuis le 24 janvier dernier et jusqu’au 5 mai prochain, l’exposition collective intitulée L’Arbre et le Déluge (titre inspiré d’un texte évocateur de la poétesse palestinienne Fadwa Tuqan) met en scène sept voix émergentes de la Palestine. Ces voix sont celles de membres de la diaspora palestinienne dans le monde ou de personnes vivant dans les territoires occupés. Elles relatent de la diversité des expériences palestiniennes, qui reflète un héritage riche et complexe et qui offre une métaphore puissante de la résilience face à l’adversité. à l’adversité.
Firas Shehadeh, Sarah Risheq, Nerian Keywan, Bint Mbareh, Dina Khorchid, Walid Al Wawi et Shadi Habib Allah, en explorant de manière protéiforme la vidéo, la musique, la photo, le dessin et les installations, tentent de répondre aux questions récurrentes : Que se passe-t-il après la tempête ? Comment se souvenir, pleurer et continuer ? Tous témoignent d’expériences multiples relatant de thèmes fondamentaux comme l’étrangeté de vivre avec la mémoire, le lieu, l’imaginaire et la perception du quotidien.
Un grand mur blanc central présente également presque une centaine d’affiches très graphiques, colorées et emblématiques créées par le collectif Free Palestine. Ces affiches sont tirées d’un site web libre de droits où chacun peut télécharger l’image de son choix à des fins personnelles. La tradition de l’affiche palestinienne offre une perspective exceptionnelle sur l’histoire de la Palestine moderne et constitue une composante sous-estimée de son patrimoine culturel. Les affiches elles-mêmes sont d’importants référentiels. Elles offrent une perspective unique à travers laquelle le public peut avoir un aperçu des attitudes et des aspirations des personnes directement impliquées dans l’histoire contemporaine de la Palestine. Elles l’ont vécue et enregistrée dans l’art graphique.
Créée en 2005, la Fondation tuniso-suisse Kamel Lazaar a inauguré le B7L9 en 2019 comme étant la première station d’art indépendante implantée dans une zone mi-rurale et mi-industrielle de la banlieue nord de Tunis. Ce premier centre d’art contemporain à but non lucratif propose un programme d’événements artistiques et culturels accessibles à tous gratuitement qui met en avant la vitalité et la diversité de la scène culturelle de la région MENA.
De la Palestine avec l’art, à la galerie P21 à Londres
From Palestine with Art est une vitrine unique qui vise à partager la culture dynamique, le patrimoine et les luttes du peuple palestinien à travers diverses expressions artistiques : peinture, sculpture, installation, broderie et présentation multimédias. L’exposition présente un large éventail d’artistes palestiniens talentueux qui cherchent à mettre en lumière leurs expériences, leur histoire et leurs aspirations. Après avoir été présentée à la 59e Biennale de Venise en 2022, c’est la Galerie 21 à Londres qui l’a accueillie du 2 février au 2 mars 2024 derniers. Le Palestine Museum US, basé dans le Connecticut aux États-Unis, est fier de présenter une sélection de son importante collection d’œuvres d’art contemporain en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Il met en évidence la reconnaissance croissante de l’art et de la culture palestiniens sur la scène mondiale. Grâce au pouvoir de l’art, l’exposition vise à favoriser le dialogue, à créer une prise de conscience, à promouvoir une compréhension plus profonde du récit palestinien, à remettre en question les stéréotypes et à créer des liens entre les diverses communautés.
Falastin Hurra, itinérante en Italie
C’est une exposition collective de plusieurs dizaines de caricaturiste, dessinateurs et illustrateurs à la fois palestiniens, italiens, français et américains qui circule dans diverses villes d’Italie depuis décembre dernier. Le point de référence pour les initiatives de soutien au peuple palestinien est aussi la première assemblée coordonnée et convoquée par le groupe de Naples des « Sanitaires pour Gaza ». Ce groupe est né d’un groupe de professionnels italiens de la santé, créé pour dénoncer la catastrophe sanitaire en Palestine et pour être un pont international prêt à rétablir une normalité médicale à Gaza en donnant la parole aux demandes d’aide des collègues palestiniens. L’exposition Falastin Hurra, qui signifie Palestine Libre, a débuté au milieu d’un barrage de frappes aériennes israéliennes, tuant d’éminents créateurs culturels palestiniens comme Hiba Abu Nada et Inas al Saqa. « La guerre contre la culture a toujours été au cœur de la guerre des agresseurs contre notre peuple, car la vraie guerre est une guerre contre le récit visant à voler la terre et ses riches trésors de connaissances, d’histoire et de civilisation”, explique avec férocité le ministre palestinien de la Culture.
Palestine : une terre, un peuple, aux Nations Unies à New York
À l’occasion du 75e anniversaire de la Nakba et de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien le 29 novembre, le CEIRPP (Committee on the Exercise of the Inalienable Rights of the Palestinian People) a organisé du 29 novembre 2023 au 8 janvier 2024 l’exposition intitulée Palestine : une terre, un peuple dans le hall des visiteurs au siège de l’ONU à New York. L’exposition présentait des photographies, des vidéos et des œuvres d’art illustrant différents épisodes du parcours des Palestiniens avant, pendant et après la Nakba (qui signifie catastrophe en arabe). Plusieurs centaines de milliers de Palestiniens avaient été forcés de fuir leur domicile de 1948 à 1949 suite aux territoires passés sous contrôle israélien à l’issue de la guerre israélo-arabe et qui avaient déclenché la création de l’État d’Israël. Ce triste épisode de l’histoire rappelle que près de 6 millions de Palestiniens sont encore aujourd’hui des réfugiés, dispersés dans toute la région du Proche-Orient. Des centaines de milliers de ces réfugiés ont subi un déplacement forcé supplémentaire et des milliers de personnes ont été tuées pendant la guerre de Gaza de 2023, dans une situation qualifiée de “catastrophe humanitaire” par António Guterres, le secrétaire général des Nations Unies.
La Zawyeh galerie, à Ramallah
Fondée en 2013 par Ziad Anani, la Galerie Zawyeh est un espace d’art visuel indépendant située à Ramallah en Palestine situé à 40km au nord de Jérusalem. En 2020, la galerie a élargi sa portée en établissant un deuxième emplacement à Dubaï aux Émirats arabes unis. Dédiée à la promotion des artistes palestiniens et du Moyen-Orient, émergents et établis, la galerie Zawyeh poursuit sa mission à travers une gamme diversifiée d’expositions thématiques. Au fil des années, la galerie a organisé de nombreuses expositions personnelles et collectives, présentant des œuvres d’art couvrant divers médiums tels que la peinture, la sculpture, l’installation, la vidéo et la photographie. En plus de sa présence locale, la galerie Zawyeh s’efforce de soutenir de jeunes artistes et de faire connaître l’art palestinien contemporain et moderne à un public étranger à travers diverses foires internationales. Adoptant le pouvoir de la créativité et du talent artistique, la galerie Zawyeh les considère comme des instruments de résilience face à l’adversité. En investissant dans ces qualités, la galerie cherche à favoriser une communauté artistique dynamique et durable.
In Solidarity with Palestine, à la Fondation Darat Funun à Amman
Depuis le 24 octobre 2023 et jusqu’au 22 mai 2024 prochain, à la lumière de la situation tragique qui se déroule actuellement en Palestine et qui se manifeste par la perte d’innombrables vies d’innocents, l’amplification de la voix des artistes est plus que jamais nécessaire. Samira Badran, Jumana Emil Abboud, Rula Halawani, Mona Hatoum, Khaled Hourani, Emily Jacir, Abdul Hay Mosallam, Ahmad Nawash, Ismail Shammout, Laila Shawa, Wael Shawky et Suha Shoman sont témoins des injustices de notre monde d’aujourd’hui et offrent de nouvelles visions sur la façon dont nous pourrions vivre ensemble. Dans In Solidarity with Palestine, les œuvres exposées, en provenance de la collection Khalid Shoman, documentent la résistance artistique en Palestine à travers l’histoire et les médiums artistiques, notamment le dessin, la photographie, le design, la calligraphie, la poésie, les installations artistiques et les œuvres vidéos.
La fondation Darat al Funun est installée dans un complexe à la fois citadin et champêtre constitué de six bâtiments historiques des années 20 qui composent une charmante maison ottomane située sur l’une des multiples collines du centre-ville historique d’Amman, entourée d’agréables jardins, enrichis d’un site archéologique et avec un beau panorama, créant une rencontre unique entre arts, architecture, archéologie et paysage.
L’espace Eltiqa, à Gaza
L’espace Eltiqa qui existait et luttait depuis 2018 à Gaza a malheureusement été bombardé et détruit par les forces israéliennes fin décembre dernier. Il avait présenté son collectif d’artistes en 2022 à La Documenta à Kassel. Après la Biennale de Venise, La Documenta est la plus importante exposition d’art contemporain au monde. “C’est une hécatombe, je n’ai pas d’autres mots. Les artistes qui sont censés être les derniers porteurs de vie et d’humanité ont perdu leur espérance. Pour eux, il s’agit de survivre. Personne n’est épargné”, explique Marion Slitine, historienne et anthropologue, commissaire associée à l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde à l’IMA.
Le Musée palestinien à Birzeit
Le Musée palestinien à Birzeit est une association non gouvernementale qui se consacre à soutenir la culture palestinienne au niveau local et international. Le musée contribue aux récits sur l’histoire, de la culture et de lasociété palestinienne sous des perspectives nouvelles et critiques. Il offre également des espaces pour des entreprises créatives, des programmes éducatifs et de recherche innovante. Le Musée est une association non gouvernementale enregistrée en Suisse avec une succursale en Palestine. Sa mission est aussi de transcender les frontières politiques et géographiques en cherchant à former un lien entre les Palestiniens de Palestine et de l’étranger à travers ses archives numériques et plateformes en ligne.
Prouesse architecturale moderne située au sommet d’une colline verdoyante surplombant la côte méditerranéenne de la ville de Birzeit, à 7 km au nord de Ramallah et à 25 km au nord de Jérusalem, le musée a été conçu par la société d’architecture irlandaise Heneghan Peng se veut écologique, associant culture et nature. Le Musée palestinien s’est associé à la British Library pour soutenir un projet de conservation et de digitalisation des collections menacées et liées à l’histoire et au patrimoine culturel palestiniens.
Une Palestinienne embrasse le corps de sa nièce, par Mohammed Salem, Palestine, agence Reuters, World Press Photo
Voici la photographie gagnante de l’année 2024 du World Press Photo – le très respecté prix international de photojournalisme organisé par une institution aux Pays-Bas -, a été attribué au photographe palestinien Mohammed Salem. Il décrit cette photo, prise quelques jours seulement après l’accouchement de sa propre femme, comme un “moment puissant et triste qui résume ce qui se passait dans la bande de Gaza”. Elle montre Inas Abu Maamar (36 ans) berçant le corps de sa nièce Saly (5 ans) qui a été tuée, avec sa mère et sa sœur, lorsqu’un missile israélien a frappé leur maison, à Khan Younis à Gaza. Le jury a commenté la manière dont l’image a été composée avec soin et respect, offrant à la fois un aperçu métaphorique et littéral d’une perte inimaginable. Le jury a également noté que ce photographe avait été récompensé pour le même sujet il y a plus de dix ans.
Et pour finir, le keffieh, adopté, décrié et réinterprété par de nombreux artistes à travers le monde, pourrait être le fil rouge de tout cela. Ce morceau de coton mesurant 1m x 1 m, Égyptien à l’origine, noir et blanc ou rouge et blanc, servait aux paysans à se préserver du vent, du soleil et du sable et permettait de distinguer les citadins des ruraux. Porté aujourd’hui comme coiffe traditionnelle par un grand nombre de gens au Moyen-Orient, très symbolique de la résistance des Palestiniens à l’image de Yasser Arafat (chef de l’OLP, figure emblématique et controversée de la lutte en faveur de la cause palestinienne pour tenter de favoriser un processus de paix avec Israël), le keffieh est devenu populaire jusque dans les milieux de la mode, comme Chanel l’avait déjà mis à l’honneur en 2015.
Texte de Christine Cibert