Quand le wax africain sublime l’histoire et les livres

Yinka Shonibare, né en 1962 de riches parents nigérians vivant à Londres, est un artiste peintre, photographe, sculpteur, vidéaste et performer, considéré comme l’une des stars actuelles de la scène artistique contemporaine, créant des oeuvres qui relatent des relations historiques, politiques et économiques enchevêtrées entre l’Afrique et l’Europe et qui atteignent aujourd’hui des prix records en ventes aux enchères. Né à Londres mais grandi à Lagos depuis l’âge de trois ans, il suit une formation artistique dans plusieurs écoles de Londres (la Byam Shaw School of Art, le Central Saint Martin’s College of Art and Design et le Goldsmiths’ College) où il apprend à mettre en valeur ses racines africaines. Contraint de se déplacer en fauteuil roulant depuis l’âge de 18 ans suite à une inflammation irréversible de la moelle épinière, Yinka Shonibare revendique son handicap physique comme une partie intégrante de son identité. Il poursuit une carrière florissante, reçoit de nombreux prix prestigieux (nominé pour le Turner Prize, le Whitechapel Gallery Art Icon Award, membre de l’Ordre de l’Empire britannique, élevé au rang de Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique) et ses œuvres font partie de collections permanentes de nombreux musées à travers le monde (la Tate Collection de Londres, le Musée Victoria et Albert de Londres, le Musée national d’art africain – Smithsonian Institute à Washington, D.C., le Musée d’art moderne de New York, le Musée Moderna, à Stockholm, le Musée d’Art Contemporain de Chicago et la galerie nationale d’art moderne de Rome et de la Fondation VandenBroek aux Pays-Bas).

Au début des années 90, poursuivant ses recherches sur ses origines africaines, Yinka Shonibare décide d’introduire les tissus wax dans ses créations. Basé sur des textiles batik indonésiens mais fabriqués aux Pays-Bas depuis le milieu du 19ème siècle et vendus en Afrique de l’Ouest, ces tissus de coton, aux couleurs vives, aux motifs complexes et imprimés selon une technique à la cire, sont le symbole de l’identité africaine depuis les années 60. Reconnu pour ses œuvres d’art extrêmement colorées, dynamiques et teintées d’humour, Yinka Shonibare se plaît à africaniser les classiques de l’art occidental transmutées en un feu d’artifice d’étoffes multicolores, mettant en lumière le rapport tragique entre les deux cultures, celle des “esclaves” et celle des “nobles”, celle des Africains et celle des Européens, celles des colonisés et celles des colonisateurs, que tout semble opposer et qui sont pourtant étroitement liées. L’artiste anglo-nigérien soulève ainsi une multitude de questions qui sont plus que jamais d’actualité : où en est-on de la relation entre l’Occident et l’Afrique ? Peut-on réellement parler d’assimilation d’une culture par l’autre ? Persiste-t-il encore des différences ?

L’une des œuvres les plus emblématiques de Yinka Shonibare sont ses bibliothèques : des installations captivantes composées de milliers de livres précieusement réunis, classés, disposés sur des rangées d’étagères par l’artiste durant plusieurs années et recouverts d’une multitude de wax tous différents, sertis de lettres dorées imprimées sur les tranches, aux noms des personnalités à l’origine de l’Afrique post-coloniale, qui célèbrent l’histoire, la littérature, le continent africain et le textile lui-même. Exposée à de nombreuses reprises à travers le monde ou acquises par des musées de renom, ses trois bibliothèques – une anglaise, une américaine et une africaine – sont comme une invitation à nous poser pour découvrir les richesses multiples du vaste continent africain. Un espace d’études adjacent aux étagères et équipé de tablettes est mis à disposition des spectateurs qui peuvent accéder au site Web de l’œuvre et apprendre davantage sur les personnes nommées en couverture des livres. Les visiteurs sont également invités à soumettre leurs propres histoires, offrant ainsi un espace de discussion et de participation au projet.

Tout d’abord, la Bibliothèque anglaise, initialement commandée par le HOUSE 2014, le Brighton Festival et le Brighton Museum and Art Gallery en 2014, a été présentée au Museu Afro Brasil à São Paulo, au Turner Contemporary, au Margate en 2016, au Pavillon de la Diaspora à la Biennale de Venise en 2017 et a finalement été installée depuis 2019 à la Tate Modern de Londres. Elle inclut les noms d’immigrants de première et deuxième génération en Grande-Bretagne, célèbres ou moins connus, qui ont apporté une contribution significative à la culture et à l’histoire britanniques et qui représentent différents perspectives, inclusives comme dissidentes, sur l’immigration. Citons notamment les noms de Alan Rickman, Zadie Smith, Winston Churchill, Mel B des Spice Girls, Hans Holbein, Zadie Smith, Dame Helen Mirren, Danny Welbeck, Nigel Farage et Oswald Mosley. “La British Library est une exploration de la diversité de l’identité britannique à travers une lentille poétique. J’attends avec impatience l’engagement du public dans ce travail”, s’exprimait l’artiste en 2014 lors de sa première exposition.

Puis, la Bibliothèque américaine, commandée à l’origine par le Front International : Cleveland Triennial for Contemporary Art avec des fonds du VIA Art Fund et avec l’aide de James Galerie Cohan, New York, co-présentée à Louisville par le Speed Art Museum et le 21c Museum Hotel, a été créée en 2018 puis exposée dans divers musées à travers l’Amérique du Nord et aujourd’hui conservée à la Rennie Collection. “C’est une célébration de la diversité de la population immigrée aux États-Unis depuis l’étranger et aux six millions de Noirs américains ayant quitté le sud rural des États-Unis durant la Grande Migration entre les années 1910 et 1970. Ce moment important de l’histoire américaine continue de nous faire créer, débattre, éclairer et éduquer”, explique Yinka Shonibare. Citons W. E. B. Du Bois, Maria Goeppert Mayer, Steve Jobs, Bruce Lee, Ana Mendieta, Joni Mitchell, Toni Morrison, Barack Obama, Steven Spielberg, Carl Stokes, Langston Hughes, Angela Davis, Ralph Ellison et Elizabeth Alexander et Tiger Woods qui ont apporté une contribution significative à certains aspects de la vie et de la culture américaines ou pour leur courage à dénoncer les inégalités et les discriminations en Amérique.

Et enfin, la Bibliothèque africaine a été présentée à la Norval Foundation à Cape Town en 2019. Au dos de bon nombre des livres sont imprimés les noms de personnalités notables du passé et du présent du continent qui ont soutenu et combattu l’indépendance, notamment Kwame Nkrumah, Taytu Betul, Nelson Mandela, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Nnamdi Azikiwe, Taytu Betul et Funmilayo Ransome Kuti. D’autres livres portent les noms d’Africains éminents qui, depuis l’autonomie gouvernementale, ont contribué à façonner l’identité moderne du continent. Ces noms incluent les chefs d’État, bons et mauvais, ainsi que les noms d’Africains et de la diaspora qui ont apporté une contribution significative à tous les aspects de la vie et de la culture africaines, de la science à la musique, en passant par l’art, le cinéma et la littérature. La Bibliothèque africaine s’inspire de l’émancipation du continent africain et des changements survenus depuis le départ des puissances européennes au pouvoir. Il examine également la manière dont le continent continue de tenter de se débarrasser de l’héritage colonial et d’émerger comme un continent moderne et autonome. C’est une commémoration à la lutte pour l’indépendance des colonies européennes à travers le continent africain qui célèbre les réalisations africaines depuis la libération du continent.

Texte de Christine Cibert.

Articles Liés

NEWSLETTER HEBDOMADAIRE !

Radar

Nos meilleures idées, actualités, tendances, et des pensées.

PT / ENG