Art et wax, une histoire postcoloniale

Le wax est un textile de coton aux couleurs vives et aux motifs sophistiqués, imprimé selon une technique à la cire, également appelé wax hollandais ou imprimé africain, qui est évidemment utilisé dans la mode mais également dans l’art contemporain depuis plusieurs décennies. Apparu au milieu du 19 ème siècle, le wax est riche d’une histoire qui s’est développée sur plusieurs continents. A l’origine, il est fabriqué pour le marché indonésien mais rejeté en tant qu’esthétique, puis il devient africain d’adoption car massivement utilisé pour un usage pratique, symbolique, esthétique et culturel, tout d’abord en Afrique de l’Ouest puis sur le reste du continent et il est aussi européen car il a été produit pour la première fois de manière industrielle par une société coloniale néerlandaise.

Associé à une vision stéréotypée de l’Afrique qui ne reflète pas la diversité des cultures et des traditions locales, il est également controversé pour avoir marginalisé les textiles traditionnels africains comme l’Ankara, l’Aso Oke, le Batiki, le Bogolan, le Kanga, le Kente, le Samakaka, le Sweshwe, pour les plus célèbres et en provenance des quatre coins du continent.

Mais depuis plus d’une dizaine d’années, définitivement passé du statut de tissu ethnique à celui de tissu branché, profondément intégré dans le large éventail d’expressions vestimentaires qui définissent l’identité culturelle africaine contemporaine, le wax est devenu une alternative à une mode occidentale quelque peu répétitive. La vogue de ce textile sévit alors plus que jamais dans le monde entier. Dans la rue et sur les podiums de mode, dans la décoration d’intérieur et dans les galeries d’art contemporain, le wax s’est imposé comme l’expression d’un multiculturalisme, d’une modernité globalisée, d’une flamboyance et d’un « coolness » à l’africaine, reflétant les liens néanmoins complexes qui unissent le continent au reste du monde. Les modèles noirs portant des créations de mode ou des costumes de cérémonies traditionnelles sont mis en scène sur un arrière-plan ou une toile de fond aux couleurs contrastées ou similaires à leurs vêtements.

Depuis plusieurs décennies, les photographes et les artistes contemporains africains et afro-diasporiques utilisent le wax comme modèle postcolonial. Leurs œuvres racontent différentes périodes historiques et diverses identités que les Africains ont adoptées à la suite de l’esclavage, du colonialisme, de l’impact de la culture marchande occidentale, de la migration et de la mondialisation. Ces œuvres d’art sont simultanément une reconnaissance, une critique, une récupération et une affirmation de l’identité et de l’iconographie africaine.

Voici une sélection de divers photographes et artistes contemporains qui nous proposent des réponses créatives aux moments historiques clés et aux imaginaires de l’Afrique de demain.

En photographie :

  • Le célèbre portraitiste malien Seydou Keita (1923-2001) commence son activité à Bamako en 1948, transformant sa cour en studio, ne réalisant qu’une seule prise de vue par séance, uniquement à la lumière du jour avec sa chambre photographique. Découvert en Occident que dans les années 90, ses images nous offrent un aperçu de la haute société malienne de l’époque où les femmes sont habillées de leurs plus belles tenues assorties au décor en tissu de wax et nous racontent l’engagement du Mali dans la modernisation occidentale.
  • La photographe kényane Thandiwe Muriu fait des autoportraits avec son corps enveloppé dans des décors kaléidoscopiques et désorientants, aux couleurs éclatantes et surprenantes, mettant en valeur ses membres, ses cheveux et son regard caché derrière des lunettes fabriquées à partir de matériaux recyclés du quotidien, notamment des tamis, des bouchons de bouteilles en plastique, des bobines de fil plates, créés en collaboration avec des artisans et des fabricants locaux, interrogeant le spectateur sur ce qui est consommable. Chaque œuvre réinvente les traditions du portrait, repensant ce que cela signifie d’être une femme moderne.
  • Le photographe sénégalais Omar Victor Diop est l’un artistes les plus en vue de sa génération. Dès son plus jeune âge, son attirance pour la photographie, la littérature et l’histoire ont constitué le terrain d’expression de son imaginaire qu’il matérialise dans un mélange de formes artistiques allant du collage à la création textile (avec notamment du wax), du stylisme à l’écriture créative, à travers ses séries Wax dollsStudio of vanities et Hopeful blues. « Un jour, un professeur m’a demandé : mais pourquoi tu ne fais pas de l’art plus africain ? Ne comprenant pas ce qu’il voulait dire, je suis allé au marché où je me suis renseigné sur le wax. Ces tissus sont multiculturels comme moi. Et les utiliser, c’est comme une blague : regardez ce que c’est que l’Afrique typique, sachant d’où il vient », raconte-t-il.
  • Le photographe béninois Leonce Raphael Agbodjelou – qui a créé la première école de photographe de son pays – immortalise les habitants de la ville portuaire de Porto-Novo. À travers ses séries Through an African LensUntitled et Musclemen, entre tradition et influences modernes, il créé des portraits soigneusement composés, dans des espaces intérieurs, avec des costumes traditionnels Yoruba, aux couleurs vives qui contrastent contre les murs en briques crues, avec des masques de cérémonie vaudou et des bâtiments coloniaux de style portugais, soulignant le rôle historique de sa ville natale en tant que porte d’entrée pour la traite coloniale des esclaves avec le Brésil.
  • La photographe Zimbabwéenne Tamary Kudita retrace l’histoire de ses ancêtres originaires d’une région colonisée au 19ème siècle par les Néerlandais puis par les Britanniques, braquant son objectif sur des figures noires, réalisant des portraits de corps illuminés en les rendant aujourd’hui hyper-visibles alors qu’ils étaient autrefois invisibles. Ses sujets portent des vêtements rappelant ceux de l’époque aristocratique européenne mais en version wax. « J’explore la place du tissu africain dans la refonte des identités historiques et culturelles des gens », explique-t-elle.
  • Le photographe marocain Hassan Hajjaj, résolument pop, kitsch et ludique, mélange son héritage marocain aux scènes culturelles de son Londres adoptif. Il fait poser ses modèles sur fond de wax avec une irrévérence irrésistible et une bonne humeur contagieuse. Il s’amuse aussi à contrer les attentes du regard occidental sur les populations maghrébines, à l’instar de ses Kesh Angels, un gang de motardes voilées qui posent avec fierté dans les rues de Marrakech.
  • La photographe française Floriane De Lassée et sa série Mama Benz nous raconte l’histoire de ces femmes d’affaires africaines qui ont dominé l’économie locale grâce au commerce du wax. Devenant les premières femmes milliardaires africaines, elles ont pu importer les premières Mercedes Benz sur le continent, d’où leur surnom. Mixant numériquement les portraits de ces femmes de talent à une grande variété de tissu wax, ses sujets apparaissent en palimpseste, symbolisant avec fierté la beauté de l’Afrique.

En art plastique :

  • L’artiste nigérian britannique Yinka Shinobare est lui-même un exemple de la complexité de l’identité africaine postcoloniale. Acceptant les étiquettes de “Yoruba”, “Nigérian”,  “africain” ou Noir britannique, il combine les tissus africains postcoloniaux avec des signifiants victoriens pour commenter avec esprit et humour “la relation enchevêtrée entre l’Afrique et l’Europe et la manière dont les deux continents se sont inventés”. Il met justement en garde contre le fait de situer “l’authenticité” africaine dans la matérialité et dans le wax notamment. 
  • L’artiste afro-américaine d’origine ghanéenne Bisa Butler utilise du coton, de la laine, de la mousseline et du wax aux couleurs vives et aux motifs audacieux pour présenter des portraits détaillés de Noirs sur des courtepointes. Les matériaux utilisés et les thèmes abordés relient les sujets américains à leurs racines africaines et racontent des histoires visuelles. “J’utilise des couleurs très vives et imaginatives pour transcrire les émotions de mes personnages, pour refléter leur personnalité, leur humeur et leur tempérament”, explique-t-elle.
  • L’artiste nigériane Njideka Akunyili Crosby réalise des portraits dans des scènes domestiques intimes ou dans des jardins luxuriants aux couleurs délavées mais denses et vibrantes, superposant des images de magazines de mode à des photos de célébrités nigérianes, des échantillons d’albums photos de sa famille à des pages de catalogues Vlisco. Son expérience de l’hybridité culturelle reste le thème majeur de son travail artistique. “Mon désir en tant qu’artiste est de me centrer sur la vie des Noirs, sur mon expérience en tant que femme noire et sur la complexité de la vie des Noirs”, raconte-t-elle.
  • L’artiste nigériane Marcellina Oseghale Akpojotor créée des patchworks composés de couleurs, de formes, de reliefs et de textures à base des chutes de tissus multicolores. Elle façonne des portraits intimes dans des scènes de la vie quotidienne dans une cacophonie de motifs disposés en ondulations et en touffes lâches sur des fonds épurés peints à l’acrylique. Bien que les textiles soient d’origine néerlandaise, ils ont une forte signification culturelle, établissant une mémoire visuelle commune. 
  • Le peintre congolais (RDC) Eddy Kamuanga Ilunga explore les intersections du colonialisme, de la tradition et de la mondialisation dans son pays d’origine. Dans des peintures figuratives audacieuses, il habille ses sujets avec des vêtements traditionnels Mangbetu et remplace leur peau par des circuits imprimés en noir, une référence au coltan (un minerai métallique) exporté de RDC pour être utilisé dans les appareils modernes du monde entier. En restituant à la fois la beauté de la culture traditionnelle congolaise et les symboles du commerce et de l’exploitation historiques et contemporains, l’artiste capture la dissonance au sein de sa société.

En livres et en exposition :

  • Les diverses publications incontournables de l’anthropologue française spécialiste des tissus africains Anne Grosfiley.
  • L’exposition Fancy, récemment organisée au musée du Quai Brandy à Paris, qui a présenté un panorama de pagnes commémoratifs imprimés à l’occasion de grands événements politiques et historiques et devenus au fil des décennies de véritables outils de communication et des miroirs de l’histoire contemporaine africaine subsaharienne de ces cinquante dernières années.
  • La prestigieuse exposition Vlisco 1:1 Un à Un au musée Helmond en 2017 qui relatait d’histoires fascinantes et colorées sur le colonialisme, la fabrication, la vente, le commerce, la culture, le design et l’art qui ont composé les cent soixante-dix ans d’histoire de la marque néerlandaise emblématique de création de tissus célébrant son lien avec l’Afrique.

Texte de Christine Cibert

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