Tout a commencé en 1970, lorsque Lucien Clergue (1934-2014), photographe, Jean-Maurice Rouquette (1931-2019), conservateur et Michel Tournier (1924-2016), écrivain, ont milité pour la reconnaissance de la photographie et ont décidé de créer un festival à Arles, dans le sud de la France, afin de faire entendre leur voix. Au fur et à mesure des éditions, au fil des étés et en plus de cinq décennies, on est passé d’un petit groupe de photographes passionnés à une saga de la photographie mondiale. Ce festival s’est inscrit au sein de cette célèbre ville camarguaise et provençale, d’abord renommée pour son patrimoine romain et ses ferias, avec le Rhône qui la borde.
Depuis 55 ans, chaque année, entre 1970 et 2024 (sauf en 2020 avec une pause obligatoire imposée par le COVID-19), Les Rencontres de la Photographie d’Arles, ce sont plusieurs directeurs qui se sont succédé à la tête du festival, des centaines de photographes et artistes qui ont été invités, presque autant de commissaires pour organiser quasiment 1500 expositions dans des dizaines de lieux historiques intra-muros ou dans des lieux satellites improbables, des colloques, des débats et des conflits, des prix photo, des workshops et autres master class avec des photographes renommés, des lectures de portfolios, des sélections de livres, des ventes aux enchères, des affichesdevenues mythiques, des rendez-vous professionnels et amicaux à n’en plus finir, une multitude de projections, des soirées mythiques dans le théâtre antique, pléthore de découvertes et de surprises, des concerts, des performances, des DJ sets et des fêtes jusqu’au bout de la nuit, le tout soutenu par des grands partenaires historiques et mécènes (Olympus, BMW, SNCF, Kering, la Fondation Luma) et surtout par des centaines de milliers de visiteurs du monde entier qui apportent des retombées économiques chiffrant en dizaines de millions d’euros.
Des photographes les plus célèbres, français comme étrangers (Ansel Adams, Manuel Álvarez Bravo, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Don McCullin, Gisèle Freund, André Kertész, Josef Koudelka, Sergio Larrain…) aux moins connus d’alors qui ont rejoint depuis les cimaises des musées (Sophie Calle, Thibaut Cuisset, Alain Fleischer, Gao Bo, Nan Goldin, Françoise Huguier, Annette Messager, Martin Parr, Sophie Ristelhueber…), les Rencontres de la photographie d’Arles ont accompagné bien des carrières et ouvert leur programme à d’autres continents, d’autres cultures et d’autres préoccupations photographiques. En effet, quel photographe n’a pas rêvé d’être un jour exposé à Arles ? Quel commissaire n’a pas espéré y organiser une exposition ? Car dans une carrière de photographe ou de commissaire, il y a un avant et un après Arles.
Alors chaque année, durant trois mois, entre la première semaine de juillet (qui est la semaine d’inauguration et donc, le rendez-vous mondial des professionnels et des passionnés) et le reste de l’été jusqu’à la fin du mois de septembre, la ville d’Arles bat son plein. Depuis donc un demi-siècle, ce festival de la photographie reste le premier au monde, devenant un événement culturel indétrônable et qui a donné naissance à tant d’autres festivals ailleurs en France comme à l’étranger.
Mais si Arles s’enorgueillit tous les ans de son titre de capitale mondiale de la photographie, c’est aussi grâce à la mobilisation des galeristes, artistes, professionnels et amateurs qui investissent la ville dans pas moins d’une centaine de lieux d’exposition s’inscrivant dans le “Off” du festival. Les restaurants aux terrasses attrayantes et les jolies boutiques s’y mettent aussi. Les façades des maisons et les murs de la ville sont à leur tour recouverts de photographies imprimées façon affiches et collées façon JR de manière esthétique et sauvage, contribuant à transformer la ville en galerie de photographie géante.
Les Rencontres ont aussi su attirer d’autres institutions comme l’École Nationale Supérieure de la Photo et la Fondation Luma, créée en 2004 par Maja Hoffmann, qui soutient la création contemporaine. Elle a restauré l’immense périmètre des anciens ateliers SNCF, avec au beau milieu, sa tour à facettes argentée construite par le célèbre architecte Frank Gehry, devenue emblématique et visible de très loin. « Peu de villes de 50.000 habitants comptent autant de structures culturelles : l’éditeur Actes Sud, la fondation Van Gogh, le musée archéologique, la fondation Lee Ufan, l’école de la photo, la fondation Luma », observait il y a plusieurs années l’ancien directeur Stam Stourdzé.
Pour le cinquantième anniversaire, ce dernier et Françoise Denoyelle ont organisé en 2019 l’exposition Toute une histoire, Arles a 50 ans, la collection des Rencontres. Un travail inédit d’identification, de classement et d’inventaire a été réalisé afin de transformer l’archive en mémoire et de créer le fonds des Rencontres consultable par tous. Celui-ci nous permet de replonger avec plaisir et nostalgie dans un patrimoine d’une grande richesse, de redécouvrir l’histoire de femmes et d’hommes de la photographie, racontant l’émergence de nouvelles générations, de nouveaux regards, de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports à la production d’images des années 1980 puis 2000 jusqu’à nos jours, alors que l’argentique laissait la place au numérique avant que l’ère du smartphone ne s’impose. Notons aussi que la Collection des Rencontres d’Arles comprend en 2024 près de 3 500 œuvres photographiques cédées par plus de 470 photographes depuis 1976.
“Remous, esprits, traces, lectures parallèles et relectures sont autant de nouvelles perspectives qui sous-tendent l’édition 2024 des Rencontres d’Arles”, écrit Christopher Wiesner, le directeur des Rencontres de la Photographie d’Arles depuis 2020, en introduction à la thématique intitulée Sous la surface de l’édition en cours pour cette 55ème édition. Citons une sélection des expositions à ne pas manquer cette année : Mary Ellen Mark avec Rencontres, Cristina de Middel avec Voyages au centre, Nicolas Floc’h avec Fleuves océan, le paysage de la couleur Mississipi, Uraguchi Kusugazu avec Ama, Sophie Calle avec Finir en beauté, Au nom du nom – les surfaces sensibles du Graffiti, Quelle joie de vous voir – photographes japonaises des années 50 à nos jours et Jean-Claude Gautrand avec Libres expressions.
En bref, à Arles, chaque été, on vit, on vibre, on pense, on rêve, on déambule, on admire, on échange, on rencontre, en photographie !
Texte de Christine Cibert