Le Street Art ou art urbain est un mouvement et un mode d’expression artistique subversif et éphémère qui est réalisé en extérieur dans des lieux publics et qui joue avec le franchissement des limites spatiales et légales. Depuis 60 ans, entre incarnation de la liberté d’expression et prise de conscience sociétale, le Street Art s’est approprié le plus grand musée du monde : la rue, provoquant une véritable révolution visuelle et populaire. Car la plupart des artistes de Street Art souhaitent avant tout s’exprimer librement et que leurs œuvres soient vues par un maximum de gens dans l’espace public, où leurs signatures visuelles mémorisées peu à peu leur permettront d’accéder à une forme de célébrité à laquelle ils aspirent.
Le Street Art regroupe tout à la fois le writing (appelé aussi graffiti), la peinture murale, le trompe-l’œil, le pochoir, la bande-dessinée ou les comics, l’art des affichistes, la mosaïque, le sticker, le collage et les installations. Avec l’apparition de peintures émaillées vendues sous forme de bombe aérosol originellement destinées aux automobiles, une partie des graffitis a gagné une vocation esthétique.
Si le graffiti writing aurait vu le jour au début des années 60 à Philadelphie, c’est à New York dans les années 70 que ce mode d’expression s’affirme en premier. Avec la conjonction de divers mouvements esthétiques et un contexte américain socioculturel et économique en crise, miné par le choc pétrolier et le fiasco de la guerre du Viêt-Nam, la ville qui ne dort jamais est alors au bord de la faillite, cumulant pauvreté, ségrégation raciale et guerre des gangs. Parallèlement, en Europe, des artistes commencent à peindre sur des surfaces libres, invoquant la volonté de sortir des musées et des lieux privés pour s’adresser à l’homme de la rue, cultivant des thèmes et des styles populaires souvent liés à des revendications sociales. Mais c’est à partir de mai 1968 que le street art en tant qu’initiative individuelle commence à s’épanouir en France et tout d’abord à Paris, avec des affiches à caractère politique produites dans le cadre de la vague contestataire du moment et de l’émergence de la contre-culture. Dès le début des années 70, l’artiste précurseur Zloty dessine à la bombe des silhouettes fantomatiques dans l’immense chantier dit le « trou des Halles » à Paris. À son tour et de manière illégale, Ernest Pignon-Ernest exécute une fresque sur les murs de la Bourse du commerce, également située dans le quartier des Halles et aujourd’hui devenue le siège de la Collection Pinault. Ces deux artistes n’avaient reçu aucune commande et leurs actions étaient simplement spontanées et rebelles. “Il ne savait pas qu’il était en train de créer un mouvement qui deviendra le Street Art. Il ne savait pas qu’il était le premier. Et 60 ans plus tard, il est l’un de ceux qui a initié le mouvement artistique le plus universel qui existe”, raconte Gautier Jourdain, l’agent de Zloty.
Dans les années 80, le writing devient un phénomène massif qui touche finalement toutes les métropoles européennes. Et à Paris, durant cette décennie d’euphorie et de fête, la capitale française est un chantier géant (emplacement des anciennes Halles de Paris, trou du futur Forum des Halles, Beaubourg, Cour Napoléon du Louvre, Place Stalingrad) où les interventions se multiplient par des artistes comme Speedy Graphito, les Frères Ripoulain, Bando, Epsylon Point, devenus célèbres depuis, s’appropriant les terrains vagues et les palissades comme supports d’expression favoris, jusqu’à ce que les espaces soient saturés et que dans l’opinion publique, le “vandalisme urbain” a pris le pas sur “l’art de rue”.
Les années 90 sont une période de répression et de récession, avec notamment la poursuite des graffeurs par la RATP et la SNCF et la médiatisation des procès. C’est aussi l’heure du grand nettoyage de la capitale afin d’accueillir au mieux la Coupe du Monde de football de 1998. Mais le terme de “Street Art” fait alors son apparition, avec de nouveaux types d’artistes urbains comme Space Invader, Zevs ou André et les graffitis sont finalement répertoriés et cartographiés. Le développement du collage d’affiches ou de stickers se répand comme modes de communication plus établis et légalement moins risqués.
Les années 2000 sont marquées par une période politiquement et socialement agitée (11 septembre, élections présidentielles de 2002, guerre en Irak, émeutes des banlieues) qui initie des mouvements anti-pub. Si l’art urbain – dû à sa marginalité caractérisée par le choix du support en pleine rue et l’aspect éphémère de l’œuvre – s’oppose assez naturellement au marché de l’art puisqu’il ne peut s’acquérir, c’est le début de la reconnaissance du monde de l’art avec la multiplication d’expositions, de festivals, d’invitations officielles à créer sur des façades monumentales et la première vente aux enchères organisée par Artcurial témoignant d’une légitimation du Street Art de plus en plus accrue et du travail des artistes qui développent aussi leurs oeuvres en atelier. La Fédération de l’Art Urbain a aussi été créée en octobre 2018 avec le soutien du ministère de la Culture qui, parallèlement, a commandé une étude nationale sur l’art urbain en France. Car aujourd’hui, le Street Art de la contre-culture a fait son passage au musée et la part de l’art urbain dans le marché de l’art contemporain augmente sensiblement avec certains de ces artistes vivants qui dépassent, en termes de ventes, des artistes décédés.
Alors, au fil des décennies, entre créations multiples en extérieur et en intérieur, entre expositions, événements et happenings, entre publications et documentaires, l’engouement pour le Street Art ne se dément plus, devenu même incontournable sur la scène contemporaine parisienne, française et dans tant d’autres lieux à travers le monde. Partons à la découverte d’une sélection des lieux les plus emblématiques et des manifestations les plus récentes sur le sujet à travers la ville de Paris.
- Pour fêter les 60 ans d’existence du Street Art en 2023, la ville de Paris a organisé l’exposition CAPITALE(S), entre le 15 octobre 2022 et le 3 juin 2023, réunissant les créations de plus de 70 artistes emblématiques français et internationaux – parmi lesquels Invader, Miss.Tic, André, Swoon ou Banksy – qui ont fait de Paris l’une des scènes majeures de l’art urbain depuis six décennies.
- Le Grand Palais Immersif a accueilli l’expérience Loading – l’art urbain à l’ère numérique, du 6 décembre 2023 au 1er juillet 2024. A première vue, les graffitis et les écrans n’ont pas grand-chose à voir… Et pourtant ! Des subways new-yorkais aux peintures réalisées ou filmées à l’aide de drones, en passant par les grandes fresques murales des années 2000, les évolutions les plus récentes du graffiti vandale, des actions et des détournements spectaculaires, l’exposition nous a permis de découvrir l’art urbain sous toutes ses facettes, à travers des expériences numériques inédites.
- Autre lieu incontournable de la capitale, le musée Bansky, qui depuis juin 2019 jusqu’en décembre 2030, offre une exposition permanente dans un espace muséal temporaire, avec une immersion au cœur de l’œuvre de l’artiste et un voyage qui transcende les frontières. De Paris à Londres, de Bristol à Bethléem, de Los Angeles à Port Talbot, Banksy est un transfrontalier, un migrant éphémère, un citoyen universel qui transmet des messages tout aussi universels. Artiste apparemment britannique, mais qui travaille sous un pseudonyme et dont le véritable nom et l’identité restent inconnus, il fait l’objet de spéculations depuis les années 90 et aime à cultiver le mystère.
- À l’heure des JO de Paris 2024, la Street Art Avenue est un parcours d’art urbain de 5 km le long du canal Saint-Denis. Initié en 2016, le projet s’étoffe chaque année et compte aujourd’hui plus de 30 œuvres reflétant une grande diversité de techniques et d’influences. Dans le cadre de l’Olympiade Culturelle, Plaine Commune amplifie le parcours existant afin de transformer la Street Art Avenue en un véritable lieu de vie et d’exposition pour les habitants du territoire. L’édition 2024 a été inaugurée fin mars dernier avec la présentation de nouvelles œuvres d’artistes émergents et de renommée internationale.
- Encore en prévision des Jeux Olympiques organisés à Paris, ce sont une vingtaine de terrains de basket 3×3 en extérieur qui ont été rénovés et totalement relookés à la sauce Street Art grâce à un partenariat avec la Fédération française de basket-ball. Le but était de permettre un meilleur accès à la pratique sportive en plein air, notamment dans les quartiers populaires, tout en faisant dialoguer art et sport avec l’intervention d’artistes internationaux et locaux, engagés sur le territoire qu’ils représentent. Alors même si New York reste le top en matière de streetball, Paris n’a plus à rougir !
- Toujours en lien avec les JO, les maîtres du Street Art sont aussi conviés à la fête, investissant pour la première fois le Petit Palais. L’exposition We are here, du 12 juin au 17 novembre 2024, a été imaginée avec malice et un brin de provocation, nous offrant un habile dialogue entre l’architecture des lieux construite à l’occasion de l’exposition universelle de 1900, les œuvres d’art classiques des collections permanentes du musée et les créations engagées de treize street artistes de renommée nationale et internationale, tels que Seth, Shepard Fairey, Invader ou encore Conor Harrington. Cette rencontre inédite se veut comme un cri de révolte lancé à la société et aux cercles académiques réservés aux élites, nous invitant à une déambulation audacieuse, presque comme une chasse aux trésors.
- Et pour finir, Boulevard Paris 13 est un parcours de Street Art, initié par la galerie Itinerrance. Ce sont 32 fresques visibles sur le boulevard Vincent Auriol devenu le support de 26 artistes urbains de 14 nationalités différentes. Un nouveau concept de musée qui s’enrichit année après année avec de nouvelles œuvres, profondément ancré dans l’espace urbain, et réunissant sur cet axe du 13e arrondissement parisien, les grands noms français et internationaux, du Street Art : Shepard Fairey, Invader, D*Face, Seth, Conor Harrington, Hush, Daleast, Add Fuel, C215, BTOY, Cryptik, Tristan Eaton, Ethos, Faile, HowNosm, Inti, Jana&JS, David De La Mano, Maye, M-City, Pantonio, Roa, Sainer, ST4, Stew, et Vhilsur cet axe du 13e arrondissement parisien les grands noms, français et internationaux, du Street Art : Shepard Fairey, Invader, D*Face, Seth, Conor Harrington, Hush, Daleast, Add Fuel, C215, BTOY, Cryptik, Tristan Eaton, Ethos, Faile, HowNosm, Inti, Jana&JS, David De La Mano, Maye, M-City, Pantonio, Roa, Sainer, ST4, Stew, et Vhils.
Quand l’art prend la rue et n’a pas fini de nous surprendre, on en redemande !
Texte de Christine Cibert.